en aparté

Croyez-vous à la résilience ?

Ce ne sont que trois phrases. Et pourtant… J’ai le sentiment qu’appuyer sur le bouton de confirmation d’envoi de cet email est un crève-cœur. Je croyais avoir fait le bon choix. Celui de tout arrêter. Il y a quelques semaines, cela me semblait être la meilleure solution. Voilà pour moi une occasion en or de faire ce que j’avais décidé : faire des choix dictés par la raison. Malgré tout, cette décision avait été difficile à prendre. Cette histoire a commencé de nombreux mois plus tôt. Au détour d’un premier message, la discussion a débuté par un vrai faux débat sur la place du féminisme dans notre société. Cela aurait dû, d’entrée, me mettre la puce à l’oreille : démarrer une discussion par un tel débat était trop atypique. Les échanges se sont multipliés sans que nous ne voyions rien venir. Nous avons parlé de mille choses différentes, sans grande importance. Nous avons joué aussi. Et c’était bien. Ces moments étaient emplis d’intelligence et de remises en question. Je crois n’avoir jamais autant ri que pendant que je dessinais des Mexicains vus de haut.

Et puis vient le temps où les choses ne sont plus aussi légères qu’il n’y parait. Certains mots laissent entrevoir des histoires de vie qu’on pensait avoir laissées derrière soi. Des mots qui vous rappellent qui vous êtes vraiment. On a tellement vite fait de l’oublier… Vous réalisez subitement que vous ne faites pas que jouer, vous partagez aussi. Une rareté des temps modernes. Vous vous rabibochez avec vos vieux démons et vous voyez que vous faites du bien. C’est un sentiment plus épanouissant que n’importe quoi d’autre. Pourtant, vous n’avez échangé que quelques mots. Juste des mots. Seulement, parfois entre les lignes se cachent mille rencontres. Petit à petit, les silences prennent plus de place. Des silences qui résonnent comme des doutes, comme des interrogations, comme la remise en cause de nombreuses certitudes. Mais s’ils sont là, c’est parce qu’ils sont coupés de nouveaux échanges qui prennent de plus en plus de densité. Vous alternez, avec délice, entre sérénité et chamboulements. Au fur et à mesure, les silences se transforment en paroles qui se taisent. Puis, sans crier gare, vous apercevez le plafond de verre. Celui dont vous aviez décidé d’oublier la logique implacable et qui soudainement se rappelle à vous. Vous décidez d’exploser cette barrière : après plus de 3000 messages vient alors le dernier, le fameux « dernier message ».

« Tu vas pas faire ça quand même… Je peux toujours me rattraper, tu sais …».

J’ai pensé qu’elle le ferait, qu’elle comprendrait que ce message n’était ni plus ni moins qu’une main tendue.

chaises

Les jours défilent. Certes, cela demande du temps, vous êtes patient et surtout, confiant. Vous pensez savoir que votre choix était le bon. Que c’était la seule façon de propulser cette non-rencontre parmi les rencontres qui comptent ! Votre quotidien reprend ses droits aussi. C’est une aide précieuse. Mais que faire quand ce quotidien vous rappelle qu’il n’est plus vraiment le même ? Abstraction. Voilà ce que vous faites. Vous vous forcez à ne pas y penser. Après tout ce n’était que quelques mots et vous aviez très bien fait sans eux pendant de nombreuses années. Quand certains fragments vous reviennent à la figure, vous détournez le regard. Quand certains mots se rappellent à vous, vous cherchez des synonymes. On dit que les schémas sont faits pour se répéter. Je crois qu’on les rejoue surtout pour effacer les précédents.

Alors dois-je appuyer sur ce bouton ? Dois-je transformer ce dernier message en une erreur de parcours ? Si ce message part, je reviens sur une sortie par le haut que je pensais salvatrice. Pourtant je vais envoyer cet email. Je sais pertinemment que ce soir, je ne laisserai pas la nuit me porter conseil. Il y a des soirs où deux choix s’offrent à nous : celui d’aller se coucher en sachant que demain sera un autre jour et celui qui nous pousse à faire ce dont on a envie plus que tout. J’ai relu ces trois phrases. J’ai réfléchi à la meilleure façon de provoquer un énième jeu, un énième questionnement, un énième sourire, une énième larme.

J’ai envoyé cet email.

Qui m’est revenu.

L’adresse n’existe plus.

Alors, croyez-vous à la résilience ?